Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview.
Quel poste occupes-tu aujourd’hui et que t’a apporté ton doctorat dans ce poste ?
Je viens d’arriver en Allemagne pour un postdoctorat au sein de l’équipe de géodésie satellitaire du GFZ (Deutsches GeoForschungsZentrum) à Potsdam, où je vais analyser et homogénéiser des séries temporelles de vapeur d’eau pour les rendre utilisables en climatologie. Ici, les possibilités sont multiples et le travail se fait en anglais, ce qui est très pratique pour moi qui n’ai jamais appris l’allemand !
Auparavant, j’occupais un poste d'ingénieure de recherche CNRS à l’Institut de Physique du Globe de Paris, et mon travail sur place a principalement permis à l’institut de devenir membre du réseau SPOTGINS de centres d’analyse GNSS, un projet français porté par le CNES.
Après ces deux contrats courts (6 mois chacun) qui me permettent d’acquérir de l’expérience et de construire des relations avec d’autres personnes de mon domaine, je me consacrerai à un contrat de recherche de deux ans que j’ai monté en partenariat avec le SHOM et le CNES. Il consistera à topographier la surface de l’océan par GNSS embarqué sur des navires de recherche dans le cadre de la mission d’observation satellitaire SWOT portée par le CNES et la NASA.
Le milieu de la recherche donne lieu à de telles opportunités grâce à son caractère international. Pouvoir facilement travailler à l’étranger puis revenir me plait beaucoup, je pense que c’est très enrichissant.
À l'issue de ce contrat de deux ans au SHOM, j’espère trouver un poste d’enseignante-chercheuse qui me permettra de poursuivre mes recherches tout en enseignant aux générations suivantes. En effet, j’ai découvert pendant mes heures d’enseignement en thèse que cela me plaisait et que les étudiants appréciaient ma manière de les guider en TD.
Peux-tu décrire le parcours qui t’a mené jusqu’au doctorat ?
Avant de m’inscrire en thèse, j’ai suivi un parcours classique d'étudiant ingénieur : classes préparatoires aux concours, que j’ai tentées deux fois pour intégrer l'ENSTA Bretagne à Brest. J’y ai suivi le cursus d’ingénieur généraliste en spécialité hydrographie. En parallèle de ma dernière année d’école, j’ai suivi le double cursus en physique, océan et climat à l’Institut universitaire européen de la mer (UBO, Brest), en spécialité data science for oceanography en partenariat avec l’IMT Atlantique. Afin de valider ce double diplôme, j’ai effectué un stage de fin d’études au sein du Department of Geography à l’University of California Santa Barbara. Il s’agissait d’étudier l’impact des forêts de varechs sur les ondes internes dans le chenal de Santa Barbara, à partir de profils de courants par acoustique et d’images satellites. Mon professeur de géodésie à l’Ensta Bretagne m’a contactée pendant ce stage pour me proposer un sujet très intéressant alliant analyse de données, océan et satellites. Le sujet m’a tout de suite emballée, et j’ai donc accepté d’y consacrer une thèse académique à l’ENSTA Bretagne. Trois ans plus tard, j’ai soutenu ma thèse sur le sujet du “ GNSS embarqué sur porteur marin pour l’observation de la vapeur d’eau atmosphérique en mer ”.
Quels sont les obstacles à surmonter lorsque l’on vient d’une formation d’ingénieur ?
En école d'ingénieur, j’ai appris à réaliser des travaux à l'aide d'outils mis à disposition par les professeurs pour répondre à une problématique précise, et à consigner les résultats dans des rapports ou des présentations techniques. Réaliser un travail de recherche et écrire un article scientifique est un exercice différent, que j'ai trouvé autrement plus compliqué. Il faut se renseigner sur tout ce qui existe déjà et le consigner dans un état de l’art qui sert de contexte aux travaux de recherche. Puis il faut justifier nos moindres choix dans toute la démarche adoptée. Enfin, il faut être capable de décrire précisément la démarche adoptée afin que celle-ci puisse être reproduite, et les résultats éventuellement vérifiés par les pairs. Les résultats obtenus doivent alors à nouveau être mis en regard de la littérature existante dans une discussion. C’est un exercice que j’ai principalement découvert en thèse, et qui m’a demandé du temps.
Quels sont les principaux enseignements que tu as tirés de ton expérience de doctorat ?
Ma thèse m’a permis de découvrir ce que signifie la recherche universitaire. Si je ne voulais pas de ce monde avant d’y faire mes premiers pas, car j’avais plein d’a priori sur le sujet, j’ai aujourd’hui changé d’avis et décidé de continuer dans cette direction. Mon expérience en tant que doctorante à l’ENSTA Bretagne m’a permis de prendre en main des clés pour appréhender le monde de la recherche dans lequel je m’épanouis aujourd'hui. En tant que membre du conseil d’administration de l’école pendant ma thèse, j’ai aussi pu constater à quel point la direction valorise les étudiants qui font une thèse après l’obtention de leur diplôme d’ingénieur. J’ai aussi découvert le monde de l’enseignement, qui m’a beaucoup plu.
Quels ont été les éléments importants pour le succès de ta thèse ?
Premièrement, l’autonomie. Au début de la thèse, ce sera sûrement votre encadrant qui vous aiguillera. Mais une fois à l’aise avec le domaine et la problématique globale, il faudra alors définir une question précise à explorer, et s’y tenir afin de ne pas se disperser dans tous les sens, au risque de se retrouver, au bout de trois ans, avec un discours de surface, sans fil directeur. Les encadrants sont là pour répondre aux questions et aiguiller dans la rédaction ou la réalisation des présentations, voire pour aider dans la recherche d’emploi (qui peut être commencée avant la fin de la thèse) ou sur un point scientifique propre à leur specialité. Mais vous ne devez en aucun cas explorer toutes les directions qu’ils peuvent vous indiquer : vous n’avez pas le temps pour cela ! Il faut en choisir une, et le plus rapidement est le mieux (à la fin de la première année par exemple).
Deuxièmement, la rédaction. La première rédaction viendra assez rapidement, avec un état de l'art approprié, ou le premier papier (de conférence ou de journal pour les plus téméraires), qu'il faut prendre le temps de réaliser car c'est là que l'on structure nos idées, et que la recherche devient intéressante : un cheminement évident se trace enfin. Personnellement, c’est lorsque mon directeur de thèse m’a demandé de prendre de la distance avec mes travaux de traitement de données pour écrire mon premier article de journal, que j’ai réellement donné un sens à tout ce que j’avais fait jusque là, notamment lorsque j’ai eu le retour des reviewers.
Troisièmement, l’étude bibliographique. Le meilleur conseil que j’aurais aimé qu’on me donne en tant que débutante en thèse dans un domaine que je ne maîtrisais pas, c’était de lire une thèse proche du sujet (pourquoi pas celle de votre directeur de thèse !) et si possible récente, au moins le chapitre d’état de l’art. En effet, tous les concepts de base nécessaires à la compréhension du sujet y sont décrits dans les moindres détails. Se plonger directement dans les articles était chronophage : on ne maîtrise pas le jargon du domaine, donc on ne comprend pas grand-chose, et on en retient encore moins. Une fois que les concepts du domaine sont maîtrisés, il devient pertinent de se plonger dans les papiers de ses pairs.
Enfin, probablement le plus important : l’encadrement. J’ai pu compter sur mes encadrants lors de mes moments de doute. Ils ont su me faire confiance et me pousser à aller de l’avant ou alors m’encourager lorsque j’ai voulu me lancer dans des projets fous avec des délais très courts. Ils ont su me pousser à faire les bonnes choses au bon moment (et notamment les trois points listés ci-dessus), et à rebondir lorsque le moral était bas. J’ai vraiment eu de la chance de tomber sur des encadrants qui savent transmettre ce qu’est - et comment faire - de la recherche.