Chercheuse en ergonomie chez IRSN
Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview.
Peux-tu nous présenter ton parcours et pourquoi as-tu décidé de faire une thèse ?
J’ai commencé mes études en ayant l’objectif de faire un métier utile dont je ne me lasserais pas. Connaitre le corps humain et son fonctionnement, aider les personnes à aller mieux, créer du lien avec les patients, c’est ce qui m’a motivée à me lancer dans des études paramédicales. J’y découvre l’ergothérapie, métier de rééducation et de réadaptation, se centrant sur les besoins réels des patients à travers les activités de vie quotidienne. Ces études me passionnent, mais il me manque quelque chose. Sensibilisée à l’ergonomie lors de la première année d’ergothérapie, je m’intéresse rapidement aux questions d’accessibilité des bâtiments et candidate au master d’ergonomie de Bordeaux. Je me dis que j’ai déjà passé assez de temps à faire des études (à ce moment j’ai 24 ans) et qu’à l’issue de ce diplôme je travaillerai. En deuxième année, lors du congrès de la Société d’Ergonomie de Langue Française (SELF), des ergonomes commentent le passage d’un doctorant sur le format "ma thèse en 180 secondes". Selon eux, il n’y a pas assez de doctorants, c’est un privilège de travailler sur un sujet pendant trois années, "c’est ce qui fait avancer la discipline". Avec d’autres étudiants, nous faisons savoir à nos responsables de master notre curiosité vis-à-vis du parcours de thèse. Quelques mois plus tard, mon responsable de master me dit qu’il a reçu une offre de stage de master 2 à poursuivre avec une thèse, qui devrait me plaire. Effectivement, le sujet à l’air incroyable, d’autres étudiants me disent que c’est fait pour moi. Car si la discipline est bien l’ergonomie, le sujet d’étude concerne le médical, monde auquel je suis restée très attachée. Pour moi, à ce stade, le plus important c’est le sujet. Il faut que ce soit quelque chose de passionnant. Je postule et malgré mon manque de formation dans la recherche, je suis retenue. J’espère alors pouvoir me rendre utile en apportant ma petite pierre à l’édifice.
En quoi consiste ta thèse en quelques mots ?
Il s’agit avant tout d’une thèse en ergonomie. Je m’intéresse au travail réel et aux besoins des professionnels dans leur activité de travail que je mets en perspective avec les moyens qu’ils ont à disposition. Pour comprendre ce que font les professionnels, comment ils le font, ce que cela nécessite et engendre, je regarde finement le travail, j’interroge, sans porter de jugement. Je vais voir ce qu’il se passe avant et après, comment le tout s’articule pour que le service de radiothérapie (terrain de ma thèse) fonctionne et atteigne ses objectifs de performance. La demande initiale de cette thèse partait du postulat que des "manques de fluidité" (ralentissements, arrêts, accélérations) dans le processus de préparation des traitements en radiothérapie externe pouvaient avoir des effets sur le travail (travail en urgence pour rattraper le retard par exemple) et sur la sécurité des patients. Cette préparation de traitement met en jeu de nombreux professionnels aux métiers différents dont les contributions doivent permettre de traiter les patients en toute sécurité. Je montre dans ma thèse, l’existence de "manques de fluidité", que j’appelle discontinuités : celles relatives au temps et celles qui concernent l’ordre d’enchaînement des étapes du processus technique de préparation. Mais certaines discontinuités sont, notamment, la manifestation d’activités collectives ignorées par le découpage séquentiel des étapes composant le processus. Si on supprime certaines de ces discontinuités pour "fluidifier" le processus (critère de performance), en réalité, on supprime des moments importants d’articulation entre professionnels pour construire la sécurité des traitements. La fluidité n’est pas toujours synonyme de performance.
Comment as-tu vécu ton doctorat ?
J’ai globalement très bien vécu mon doctorat même si j’ai eu des moments vraiment difficiles. Je me suis toujours laissée guidée par ma curiosité et j’ai été soutenue par mon entourage à chacun de mes choix. Je n’ai jamais eu de plan précis de ce que j’allais faire, mais j’ai toujours été confiante en l’avenir. Ce qui m’a aidée dans ces années de doctorats (qui s’étendent au nombre de 5) c’est de garder un équilibre entre vie sociale, sport, vacances et thèse. C’est honnêtement ce qu’il y a de plus dur à faire. C’est facile de s’enfermer dans la thèse car c’est d’une intensité sans pareille, on y met tout ce qu’on a pour livrer une part de soi. Mais cela coûte énormément et pour arriver au bout il faut beaucoup de ressources. Des ressources qu’il faut impérativement entretenir au fil de la thèse et qui permettent d’aller bien plus loin qu’on ne le pense. En ce qui me concerne, elles m’ont permises d’être aujourd’hui chercheuse dans le laboratoire où j’ai fait ma thèse, sans passer par la case chômage !
Pourquoi l’IRSN ?
L’IRSN est l’expert technique en matière de radioprotection et de sûreté de l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) qui contrôle diverses installations et activités, autorise, réglemente, informe le public et les parties prenantes. Sur la base des travaux de l’IRSN composé d’experts et de chercheurs, l’ASN peut prendre certaines décisions. Si l’IRSN est principalement constitué d’experts et chercheurs en sciences dites « dures », quelques-uns appartiennent aux sciences humaines et sociales notamment. C’est le cas de sociologues et ergonomes, par exemple, composant le Service Homme Organisation Technologie. A travers la conduite d’expertises, d’études et de recherches, ce service s’intéresse particulièrement aux activités humaines participant à la sûreté et la radioprotection (concernant les installations nucléaires de base, celles relatives à la défense nationale ainsi que les unités médicales, relevant à la fois du fonctionnement normal, mais aussi des situations accidentelles).