Merci d'avoir accepté l'interview
Pourriez-vous présenter votre parcours et pourquoi avez-vous décidé de faire une thèse ?
Après deux ans de classes préparatoires, j’ai intégré l’école d’ingénieur Supaéro. La formation m’est rapidement apparue comme trop généraliste et j’ai eu envie d’étudier les mathématiques de façon bien plus soutenue. En césure, j’ai donc suivi un master de recherche en mathématiques qui s’est achevé par un stage au laboratoire de mathématiques et d’informatique appliquées d’AgroParisTech. Les cours m’ont passionnée et le stage m’a permis de découvrir le monde de la recherche. Peu à peu, le désir d’aller encore plus loin s’est fait ressentir. Je souhaitais néanmoins garder un pied dans l’industrie, ou du moins dans l’appliqué : j’avais envie de mettre à profit mes connaissances pour résoudre des problèmes concrets en lien avec la transition écologique. Aussi, dès mon retour à Supaéro, je me suis mise à la recherche d’une thèse Cifre. Le responsable du master m’a mis en contact avec mes futurs directeurs de thèse qui venaient d’écrire un sujet sur l’utilisation de l’apprentissage automatique ("Machine Learning", en anglais) pour la gestion de l’équilibre production / consommation d’électricité à la R&D d’EDF, dans l’objectif de réduire l’utilisation de centrales thermiques à combustion fossile tout en intégrant la production renouvelable intermittente. Le projet s’est lancé !
Quels sont les points les plus difficiles et les plus excitants dans votre parcours de thèse ?
J’ai donc effectué ma thèse à la R&D d’EDF, dans le département « optimisation simulation risques et statistiques », au laboratoire de mathématiques d’Orsay et à l’Inria Paris. J’ai mis du temps à m’approprier le sujet et il a parfois été frustrant de naviguer à vue, sans tout comprendre au problème. Les doutes et les remises en question incessantes peuvent s'avérer difficiles à appréhender. Mais la thèse a aussi donné lieu à de grands moments de joie comme la soumission de mon premier article, la réception du mail d’acceptation et puis sa présentation en conférence à Los Angeles. Elle est loin d’être un travail solitaire et j’ai eu l’occasion de monter une collaboration avec un laboratoire à Porto et d’y passer quelques mois. C’était une expérience très enrichissante scientifiquement et humainement. Enfin, je dirai que le rendu du manuscrit et la soutenance de thèse sont des moments particulièrement intenses, avec leurs lots de stress et d’angoisses mais surtout chargés de fierté et de sentiment d’accomplissement personnel et professionnel.
Quel poste occupez-vous aujourd’hui et en quoi votre doctorat vous est-il utile ?
Après la thèse, j’ai directement été embauchée à la R&D d’EDF dans l’équipe que j’avais côtoyée pendant trois ans. Mon travail est toutefois différent : l’équipe développe des modèles statistiques et d’apprentissage pour la prévision de la consommation électrique. Elle réalise des études, de quelques semaines à quelques mois, commandées par d’autres entités du groupe EDF. En parallèle, via l’encadrement d’une thèse, je travaille aussi sur des projets plus amonts. Enfin, j’ai la chance de pouvoir poursuivre mes activités d’enseignement commencées en thèse et ainsi d’entretenir mes liens avec le monde académique. La thèse Cifre m’a donné l’opportunité de découvrir la recherche publique et privée. Elle m’a apportée la rigueur scientifique et l’esprit critique nécessaires pour mener à bien mes études. J’ai aussi appris à présenter et vulgariser mes travaux, compétences que je juge aujourd’hui indispensables pour faciliter la communication avec les clients opérationnels d’une part et tenter de transmettre avec enthousiasme mes connaissances aux élèves d’autre part.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent se lancer dans une thèse ?
Je conseillerai évidemment à toute personne qui le souhaite de se lancer dans l’aventure ! Trois ans sur son propre sujet demandent beaucoup de motivation et de persévérance mais ils sont l’occasion unique d’aller au bout des choses, d’avoir le temps d’explorer plusieurs pistes, de continuer à se former, de monter des collaborations en France et ailleurs… On en ressort grandi ! Je me permets toutefois d’alerter les étudiants sur l’importance du choix du directeur de thèse. C’est à mon sens encore plus primordial que le choix du sujet, qui est amené à évoluer au fil de recherches et des envies du doctorant. Je suis convaincue que la facilité de communication entre et avec mes encadrants de thèse a largement contribué au bon déroulement de ma thèse. Effectuer un stage de six mois avant la thèse permet de s’assurer que le projet démarre sur des bases solides.
Et aux étudiantes ?
Les femmes sont toujours sous-représentées dans la recherche mathématique et informatique. Pour ma part, j’ai eu la chance de rencontrer bien plus de bienveillance que de discriminations. Mais lors de journées de promotion des mathématiques auprès de lycéennes, je me suis retrouvée quelques années en arrière et j’ai été effrayé par l’auto-censure et les a priori qui perdurent… Il est pourtant essentiel d’impulser une présence féminine plus importante dans le monde du "Machine Learning" et ainsi mêler l’ensemble des intelligences humaines, et pas seulement masculines, à la conception des intelligences artificielles qui régiront le monde de demain. Alors foncez ! Les mathématiques et l’informatique ont besoin de femmes !