Merci beaucoup pour votre interview : version française et anglaise.
Quel était votre sujet de thèse ?
Ma thèse, réalisée à l’Université de Strasbourg au sein du laboratoire ICube, portait sur la modélisation numérique optimisée par machine learning des systèmes complexes à partir d’une somme finie de processus élémentaires. Elle poursuivait une double ambition : développer des modèles prédictifs robustes et interprétables, donc accessibles, tout en plaçant la compréhension du phénomène étudié au cœur de la modélisation. La description mathématique devait traduire cette compréhension plutôt qu’être une coquetterie de la complexité, qui camoufle parfois notre ignorance.
Pourquoi avoir choisi ce sujet et ce doctorat ?
J’ai entrepris ce doctorat plus de dix ans après mon diplôme d’ingénieur, tout en le réalisant intégralement en parallèle de mon activité professionnelle, a priori éloignée de la science. Ce doctorat n’était donc pas une simple poursuite académique, mais une réponse à des interrogations personnelles et professionnelles.
D’un point de vue personnel, il marquait un retour à l'otium : un temps de recul, d'étude et de réflexion après des années dans le negotium, le tumulte du monde, ici professionnel. C’était une manière de renouer avec mon intérêt initial pour la science et la modélisation, tout en intégrant les leçons tirées de mon expérience.
D’un point de vue professionnel, mon parcours dans le conseil et les services financiers, centré sur la stratégie, l’innovation et la distribution digitale, m’a permis de constater qu’il est indispensable de prendre des décisions engageantes avec une fine compréhension des enjeux technologiques. Dans un monde dominé par la science et les modèles, les dirigeants doivent non seulement maîtriser les outils utilisés par leurs entreprises, mais aussi en comprendre le fonctionnement pour mieux éclairer leurs choix.
Quels souvenirs gardez-vous de votre doctorat ?
Je crois que commencer un doctorat avec une solide expérience professionnelle m’a apporté une perspective différente. Avec du recul, je suis aujourd’hui plus autonome et efficace qu’à 23 ans, ce qui m’a permis de l’aborder avec sérénité.
Le doctorat a néanmoins été une aventure intellectuelle et humaine pleine de défis. Réaliser une thèse en parallèle d’une carrière professionnelle a demandé rigueur et résilience ; jongler avec les contraintes de temps n’a pas toujours été simple. Il fallait travailler le soir, les week-ends, et y consacrer une large partie de mes jours de congé. Dans ces conditions, il est essentiel de disposer d’une grande liberté sur son temps personnel et de commencer sa thèse avec un sujet d’étude déjà bien défini.
Malgré tout, je garde un souvenir profondément enrichissant de ces années. Les échanges avec mes directeurs de thèse et les chercheurs ont été une source constante de stimulation intellectuelle. J’ai rencontré d’immenses scientifiques, de véritables grands esprits qui ont profondément transformé mon rapport au monde. Ce fut une période où l’effort intense et le doute alternaient avec la satisfaction de produire une pensée structurée et utile.
D’ailleurs, je tiens à souligner le soutien moral exceptionnel que j’ai reçu, non seulement de mes proches, mais également des entreprises dans lesquelles j’ai travaillé pendant mon doctorat, Stanwell et Generali.
Comment le doctorat a-t-il influencé votre parcours professionnel ?
Il m’a permis d’être plus pertinent et légitime sur les enjeux actuels liés à l’usage des modèles et des algorithmes en intelligence artificielle. Depuis l’obtention de mon doctorat, je me tourne également plus volontiers vers des articles de recherche pour approfondir mes réflexions.
Ce doctorat a renforcé ma conviction qu’un rapprochement entre le monde de la recherche et celui des entreprises est essentiel pour relever les défis d’aujourd’hui. Les dirigeants doivent monter en compétence sur les sciences et la technologie, tandis que les docteurs doivent apprendre à mieux valoriser leurs savoir-faire auprès des organisations.
Prenons l’exemple de l’IA : peu d’entreprises ont réellement besoin d’experts en algorithmes de « back-propagation ». Elles recherchent davantage des collaborateurs capables de construire des modèles, d’utiliser les outils nécessaires et de les ajuster avec les algorithmes adéquats. Or, cela correspond précisément aux compétences développées dans la majorité des thèses scientifiques. Ce malentendu alimente l’idée d’une pénurie de talents alors que chaque année, de nombreux docteurs hautement qualifiés sortent de nos laboratoires. Les entreprises gagneraient à les recruter !
Quels conseils donneriez-vous à un futur doctorant ?
Un doctorat est une entreprise exigeante qui ne se mesure pas uniquement à ses résultats scientifiques, mais aussi à la manière dont il change votre regard sur le monde. Je conseille à tout futur doctorant de réfléchir à ses motivations profondes et de considérer cette aventure comme une occasion unique d’exploration personnelle. Les moments de doute ne doivent pas être redoutés : ils précèdent souvent les découvertes les plus intéressantes.
Il est également crucial de ne jamais perdre de vue l’objectif principal : comprendre le phénomène étudié. Vos travaux doivent éclairer, pas obscurcir. Un doctorat est une chance de développer une pensée indépendante et rigoureuse, essentielle dans un monde façonné par la technologie.
Enfin, n’hésitez pas à envisager un doctorat plus tard dans votre carrière, comme cela se fait souvent aux États-Unis. Je ne regrette pas une seconde d’avoir choisi cette voie. Rappelez-vous que les compétences acquises lors d’un doctorat vont bien au-delà de l’objet d’étude : explorer un sujet en profondeur, analyser des données, modéliser des phénomènes, réaliser des bibliographies, naviguer dans l’incertitude… Ces compétences sont précieuses et particulièrement recherchées par les entreprises.
A Time for Otium
What was the subject of your PhD?
My PhD, carried out at the University of Strasbourg in the ICube laboratory, focused on numerical modeling optimized by machine learning for complex systems using a finite sum of elementary processes. It had a dual ambition: to develop robust and interpretable predictive models—making them accessible—while placing the understanding of the studied phenomenon at the core of the modeling process. The mathematical description had to reflect this understanding rather than serve as an unnecessary display of complexity, which sometimes only masks our ignorance.
Why did you choose this topic and this PhD?
I started my PhD more than ten years after earning my engineering degree, while simultaneously continuing my professional career—one that, at first glance, appeared far removed from science. This PhD was therefore not merely an academic pursuit but a response to both personal and professional inquiries.
On a personal level, it marked a return to otium: a time for reflection, study, and deeper thinking after years spent in negotium - the world's tumult, specifically in my professional life. It allowed me to reconnect with my initial interest in science and modeling while integrating lessons from my professional experience.
On a professional level, my background in consulting and financial services—focused on strategy, innovation, and digital distribution—made me realize how essential it is to make significant decisions with a deep understanding of technological challenges. In a world dominated by science and models, Leaders need not only to master the tools their companies use, but also to understand how they work in order to make better-informed decisions.
What memories do you have of your PhD?
I believe that starting a PhD with solid professional experience gave me a different perspective. Looking back, I am more independent and efficient now than I was at 23, which gave me greater confidence on this journey.
However, the PhD was an intellectual and human adventure full of challenges. Completing a thesis while working full-time required discipline and resilience; managing time constraints was not always easy. I had to work evenings, weekends, and dedicate a significant part of my vacation days to it. Under such conditions, it is essential to have considerable personal time flexibility and to begin the PhD with a well-defined research topic.
Despite these challenges, I have deeply cherished memories of those years. The discussions with my supervisors and fellow researchers provided constant intellectual stimulation. I had the privilege of meeting remarkable scientists—brilliant minds who fundamentally changed my perspective on the world. It was a period in which intense effort and doubt alternated with the satisfaction of producing structured and meaningful ideas.
Moreover, I want to acknowledge the exceptional support I received—not only from my loved ones but also from the companies I worked for during my PhD, Stanwell and Generali.
How did the PhD influence your professional career?
It made me more relevant and credible when addressing current challenges related to the use of models and algorithms in artificial intelligence. Since obtaining my PhD, I have also turned more frequently to research papers to deepen my reflections.
This PhD strengthened my conviction that a stronger connection between the world of research and the corporate world is essential to address today's challenges. Business leaders must develop a deeper understanding of science and technology, while PhDs must learn to better showcase their skills to organizations.
Take AI as an example: very few companies truly need experts in backpropagation algorithms. What they need most are professionals who can build models, use the necessary tools, and fine-tune them with appropriate algorithms. However, these are precisely the skills cultivated in most scientific PhDs. This misconception fuels the belief that there is a talent shortage when, in reality, numerous highly qualified PhDs graduate from our laboratories each year. Companies should be recruiting them!
What advice would you give to a future PhD student?
A PhD is a demanding journey that should not be measured solely by scientific outcomes but also by how it transforms your perspective on the world. I encourage any future PhD student to reflect deeply on their motivations and to see this endeavor as a unique opportunity for personal exploration. Moments of doubt should not be feared; they often precede the most interesting discoveries.
It is also crucial to never lose sight of the primary objective: understanding the studied phenomenon. Your work should illuminate, not obscure. A PhD is also an opportunity to develop independent and rigorous thinking—an essential skill in a world increasingly driven by technology.
Finally, do not hesitate to pursue a PhD later in your career, as is often done in the United States. I have no regrets about choosing this path. Keep in mind that the skills gained during a PhD go far beyond the research topic itself: diving deep into a subject, analyzing data, modeling phenomena, conducting literature reviews, and managing uncertainty... These skills are invaluable and highly sought after by companies.