Prix Kepler 2021 (Science et Technologie) – Chapitre de St. Thomas
Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview
Pouvez-vous décrire le parcours qui vous a mené jusqu’au doctorat ?
Issu d’un baccalauréat technologique en 2012 (Sciences et Techniques de Laboratoire), rien ne semblait me destiner à devenir un jour docteur en mécanique des fluides, encore moins à intégrer une école d’ingénieur. À cette époque, mes ambitions étaient limitées et incertaines. J’aimais l’école et les études, mais dans quel but ? Pourtant, un événement a tout changé : une enseignante m’a encouragé à tenter l’aventure des classes préparatoires. Sans vraiment savoir où cela me mènerait, j’ai pris la décision de suivre son conseil.
Ces deux années de classe préparatoire furent une épreuve, mais aussi une révélation. Intellectuellement stimulantes, elles m’ont poussé dans mes retranchements, tout en façonnant une part essentielle de ma capacité à affronter le stress et l’anxiété, ma bête noire jusqu’alors. Mais ce chemin était loin d’être simple. Ne bénéficiant pas de bourses, et mes parents n’ayant pas les moyens de m’envoyer étudier loin de chez nous, je n’avais qu’une option : réussir à décrocher l’école d’ingénieur de mes souhaits, dans ma ville natale. Cette pression, bien qu’intense, m’a également donné une détermination sans faille.
En 2014, après des mois d’efforts et de sacrifices, j’intégrai l’ENGEES, mon premier choix. Cette réussite marquait une étape cruciale dans mon parcours, un point de bascule entre mes doutes passés et les opportunités à venir. Chaque jour passé dans cette école, je repensais à cette enseignante qui, par sa confiance en moi, avait ouvert une porte que je n’aurais jamais osé franchir seul.
Malgré cela, un rêve demeurait dans un coin de mon esprit : celui d’être chercheur. Depuis l’enfance, je rêvais de comprendre comment fonctionnait le monde et découvrir ce qui ne l’a pas encore été. Ce rêve, enfoui, mais toujours vivant, m’a guidé à chaque étape, même dans les moments d’hésitation ou de difficulté. Dans l’ultime ligne droite de mon cursus ingénieur, j’ai pris une nouvelle décision. J’ai contacté l’un de mes professeurs pour lui partager mon envie de poursuivre en doctorat. Cette initiative marqua le début d’un nouveau voyage, celui de la thèse. Un voyage exigeant, mais profondément enrichissant, qui m’a permis de m’accomplir dans ce que j’avais toujours souhaité faire : chercher, apprendre et transmettre.
Pourquoi avoir choisi de faire une thèse après une école d’ingénieur ?
En règle générale, l’école d’ingénieur n’est pas la voie la plus commune pour accéder au monde de la recherche. Ces institutions forment avant tout des ingénieurs, des professionnels dont le rôle est de résoudre des problèmes concrets en utilisant des outils et des méthodes éprouvées. Mais durant mon cursus, une question n’a cessé de me trotter dans la tête : « Mais qui conçoit ces outils ? Qui imagine les concepts et les théories qui permettent aux ingénieurs d’avancer ? »
Cette réflexion a été une véritable révélation. Les ingénieurs appliquent des solutions grâce à des outils, mais ce sont surtout les chercheurs qui, en coulisses, créent ces outils et développent les concepts fondamentaux. Ce constat m’a donné une nouvelle perspective sur mon avenir. Je ne voulais pas seulement résoudre des problèmes en utilisant des outils existants, je voulais être à l’origine de ces outils. Je voulais contribuer à la création de savoirs, à l’élaboration de méthodes inédites, et apporter une pierre à l’édifice de la connaissance.
Choisir de faire une thèse après une école d’ingénieur était pour moi une manière de donner vie à cette ambition. Ce n’était pas un renoncement au métier d’ingénieur, mais un élargissement de mes horizons : une opportunité d’explorer ce qui se cache derrière les solutions, de comprendre et d’inventer. La recherche, pour moi, c’est cette quête constante de dépassement et d’innovation, ce désir de poser des questions fondamentales pour éclairer les générations futures.
Ce choix n’était pas seulement motivé par une curiosité intellectuelle. C’était aussi un engagement personnel : celui d’explorer les frontières de mon domaine, de relever des défis complexes, et de contribuer activement à un monde en perpétuel mouvement. Faire une thèse, c’était donc décider de passer du rôle d’utilisateur à celui de créateur. Et c’est dans cet engagement que j’ai trouvé une véritable vocation.
Pourquoi avoir choisi ce sujet de thèse plutôt qu’un autre ?
Lorsque ma décision de poursuivre en thèse fut prise, je me suis donc tourné vers un professeur en qui j’avais toute confiance, un mentor dont les conseils se sont par la suite toujours avérés précieux. Je lui ai exposé mon souhait : réaliser une thèse en modélisation appliquée, un domaine qui me passionnait et dans lequel je voyais une opportunité d’explorer et de créer. Ce professeur, connaissant mes aspirations et mes compétences, m’a proposé plusieurs sujets. Parmi eux, l’un a immédiatement retenu mon attention : une thèse en financement CIFRE, en partenariat avec l’ANRT et un bureau d’études nommé AIR&D, visant à développer un code de calcul capable de modéliser et d’évaluer la dispersion de la pollution atmosphérique en milieu urbain.
Ce projet résonnait profondément avec mes ambitions. D’un côté, il s’agissait de concevoir et développer des outils de modélisation numérique, un objectif qui correspondait parfaitement à ma volonté d’être un développeur de solutions scientifiques. De l’autre, j’allais pouvoir directement appliquer ces outils à des études concrètes d’ingénierie, me permettant d’avoir un impact tangible sur des problématiques environnementales majeures, comme la qualité de l’air en ville.
Ce sujet réunissait le meilleur des deux mondes : la recherche fondamentale et l’application pratique. En choisissant cette thèse, je devenais non seulement un fournisseur d’outils — le chercheur qui conceptualise et innove — mais également son utilisateur — l’ingénieur qui met ces innovations au service de solutions concrètes. C’était un rôle double, une boucle qui se bouclait, et cela correspondait parfaitement à ma vision de ce que je voulais accomplir.
En fin de compte, j’ai choisi ce sujet de thèse parce qu’il représentait bien plus qu’un simple projet académique : c’était une opportunité unique de combiner rigueur scientifique et intérêt opérationnel réel, de répondre à une problématique sociétale cruciale, tout en concrétisant mon rêve de contribuer, à ma manière, à un avenir plus durable. Ce choix, je l’ai fait en toute conscience, et avec la certitude que ce rôle était taillé sur mesure pour moi.
Quel est selon vous l’élément le plus important pour réussir une thèse ?
Cela peut sembler simple, voire évident, mais selon moi, l’élément le plus important pour réussir une thèse est de parvenir à maintenir un équilibre entre trois piliers essentiels : le temps consacré à la thèse, le temps dédié à ses activités personnelles, et le temps réservé au repos. Ces trois aspects sont profondément interconnectés et s’influencent mutuellement de manière significative.
Lorsque l’on manque de sommeil ou que l’on ne se repose pas suffisamment, notre capacité de concentration diminue, notre productivité s’effondre, et même les tâches les plus simples deviennent éprouvantes. Si, à l’inverse, la thèse occupe une place démesurée dans notre vie, elle empiète inévitablement sur notre sommeil, sur nos loisirs, et sur notre bien-être global. Enfin, si notre vie personnelle traverse une période de turbulence, nos pensées s’y attardent, de jour comme de nuit, ce qui perturbe aussi bien notre repos que notre efficacité au travail.
Pour moi, la clé de la réussite d’une thèse — ou de tout autre projet — réside dans cet équilibre. Ce n’est pas simplement une question de technique, de discipline ou d’organisation, mais une véritable gestion saine de son mode de vie. Je ne parle pas ici de faire du sport ou de suivre un régime alimentaire particulier, mais de trouver un rythme qui permet de vivre pleinement chaque dimension de sa vie : travailler avec efficacité, se ressourcer avec des activités qui nous passionnent, et se reposer suffisamment pour garder un esprit clair et une juste vision des choses.
La thèse est une aventure exigeante, tant sur le plan intellectuel qu’émotionnel. Savoir préserver cet équilibre, c’est s’offrir les meilleures chances de réussir tout en restant épanoui. Et cela, à mes yeux, est bien plus important que n’importe quelle méthode de travail ou conseil technique. N’oublions pas, une thèse est une épreuve d’endurance, pas un sprint.
Qu’est-ce que la thèse vous a apporté ?
Au-delà des trois années d’expérience inestimable que m’a offertes la thèse, et des nombreuses références professionnelles qui en découlent — la thèse en elle-même, mais aussi les publications et conférences associées —, cette aventure a été avant tout une profonde découverte de moi-même. Elle m’a permis de mieux comprendre qui je suis, ce que je veux, et ce qui me motive vraiment.
La thèse m’a offert une vision claire de ce qu’est réellement la recherche : ses défis, ses exigences, mais aussi sa beauté et son potentiel transformateur. Elle a conforté l’image que je m’en faisais avant de m’y engager, confirmant que cette voie était non seulement celle que j’avais choisie, mais aussi celle qui me correspondait profondément. Cette conviction s’est renforcée avec le temps, et quatre ans après ma soutenance, elle est toujours aussi vivace.
Aujourd’hui, tout en continuant de travailler dans le bureau d’étude qui m’a fait confiance à l’époque, je continue à m’investir activement dans la recherche. En tant que chercheur associé au laboratoire qui m’a accueilli pour ma thèse, je poursuis mes travaux scientifiques avec passion, publiant deux à trois articles par an. Cette continuité témoigne d’une chose essentielle : la recherche est bien plus qu’une étape de ma carrière, c’est un moteur, une vocation, une part indissociable de qui je suis.
En fin de compte, la thèse ne m’a pas seulement apporté des compétences et des opportunités professionnelles. Elle m’a offert une boussole, un fil conducteur qui oriente mes choix et nourrit mon enthousiasme pour le monde scientifique, un peu plus jour après jour.
À Carole, avec mes éternels remerciements.
Témoignage version anglaise
The PhD: A Unique Journey of Self-discovery
Can you describe the path that led you to pursue a PhD?
Coming from a technological high school diploma in 2012 (Science and Laboratory Techniques), nothing seemed to predestine me to one day become a doctor in fluid mechanics, let alone join an engineering school. At that time, my ambitions were limited and uncertain. I enjoyed school and studying, but for what purpose? However, one event changed everything: a teacher encouraged me to try the challenge of preparatory classes. Without really knowing where it would lead me, I decided to follow her advice.
Those two years of preparatory classes were both a trial and a revelation. Intellectually stimulating, they pushed me to my limits while shaping a vital part of my ability to manage stress and anxiety, which had been my Achilles’ heel until then. But the journey was far from easy. Without scholarships and with my parents unable to afford sending me to study far from home, I had only one option: to succeed in getting into my chosen engineering school in my hometown. This intense pressure also gave me unwavering determination.
In 2014, after months of effort and sacrifice, I joined ENGEES, my first choice. This achievement marked a pivotal moment in my journey, a turning point between past doubts and future opportunities. Each day spent at this school, I thought about that teacher who, through her faith in me, had opened a door I would never have dared to cross alone.
Despite this, a dream lingered in the back of my mind: to become a researcher. Since childhood, I had dreamed of understanding how the world works and uncovering what has yet to be discovered. This dream, buried yet alive, guided me at every step, even during moments of hesitation or difficulty. In the final stretch of my engineering studies, I made another decision. I reached out to one of my professors to share my desire to pursue a PhD. This initiative marked the beginning of a new journey: the doctoral journey. It was demanding but profoundly enriching, allowing me to fulfill what I had always wanted to do: explore, learn, and share.
Why did you choose to pursue a PhD after engineering school?
Generally speaking, engineering school is not the most common pathway to entering the research world. These institutions primarily train engineers, professionals tasked with solving concrete problems using proven tools and methods. Yet, during my studies, one question kept running through my mind: “But who designs these tools? Who imagines the concepts and theories that enable engineers to move forward?”
This reflection was a real revelation. Engineers apply solutions using tools, but researchers, behind the scenes, are the ones creating these tools and developing the foundational concepts that make them possible. This realization gave me a new perspective on my future. I didn’t just want to solve problems using existing tools; I wanted to be the one creating those tools. I wanted to contribute to the creation of knowledge, the development of innovative methods, and the building of the edifice of science.
Choosing to do a PhD after engineering school was, for me, a way to bring this ambition to life. It was not a renunciation of the engineering profession but an expansion of my horizons: an opportunity to explore what lies behind the solutions, to understand and invent. Research, to me, is this constant quest for progress and innovation, this desire to ask fundamental questions to illuminate future generations.
This choice was not only driven by intellectual curiosity. It was also a personal commitment: to explore the frontiers of my field, tackle complex challenges, and actively contribute to a constantly evolving world. Doing a PhD meant moving from the role of a user to that of a creator. And in this commitment, I found a true vocation.
Why did you choose this specific PhD topic over others?
When I decided to pursue a PhD, I turned to a professor I deeply trusted—a mentor whose advice would later prove invaluable. I shared my desire: to undertake a PhD in applied modeling, a field I was passionate about and saw as an opportunity to explore and create. This professor, knowing my aspirations and skills, proposed several topics. Among them, one immediately caught my attention: a CIFRE-funded PhD, in partnership with the ANRT and an engineering consultancy named AIR&D, aimed at developing a computational code to model and evaluate the dispersion of air pollution in urban areas.
This project deeply resonated with my ambitions. On one hand, it involved designing and developing numerical modeling tools—an objective perfectly aligned with my desire to create scientific solutions. On the other hand, these tools would be directly applied to real-world engineering studies, making a tangible impact on major environmental challenges, such as urban air quality.
This topic brought together the best of both worlds: fundamental research and practical application. By choosing this PhD, I became not only a provider of tools—the researcher who conceptualizes and innovates—but also a user of tools—the engineer who applies these innovations to concrete solutions. It was a dual role, a completed loop, perfectly matching my vision of what I wanted to achieve.
Ultimately, I chose this PhD topic because it represented much more than just an academic project: it was a unique opportunity to combine scientific rigor with real-world impact, address a crucial societal issue, and realize my dream of contributing, in my own way, to a more sustainable future. I made this choice with full awareness and the certainty that this role was tailored for me.
What do you think is the most important element for succeeding in a PhD?
It may seem simple or even obvious, but in my opinion, the most important element for succeeding in a PhD is achieving a balance among three essential pillars: time dedicated to the PhD, time for personal activities, and time for rest. These three aspects are deeply interconnected and significantly influence one another.
When we lack sleep or sufficient rest, our ability to focus diminishes, productivity collapses, and even the simplest tasks become arduous. Conversely, if the PhD takes up an overwhelming part of our life, it inevitably encroaches on our sleep, leisure activities, and overall well-being. Lastly, if personal life goes through a turbulent phase, our thoughts linger there, day and night, disrupting both rest and work efficiency.
For me, the key to succeeding in a PhD—or any other project—lies in this balance. It’s not merely about technique, discipline, or organization but about genuinely maintaining a healthy lifestyle. I’m not referring to doing sports or following a specific diet but rather finding a rhythm that allows you to fully live every dimension of your life: working efficiently, recharging with activities you’re passionate about, and getting enough rest to keep a clear mind and perspective.
A PhD is an intellectually and emotionally demanding adventure. Knowing how to maintain this balance gives you the best chance of succeeding while staying fulfilled. And to me, this is far more important than any work method or technical advice. Let’s not forget—a PhD is a marathon, not a sprint.
What has the PhD brought you?
Beyond the invaluable three years of experience the PhD gave me—and the many references that came with it, including the thesis itself as well as associated publications and conferences—this journey was above all a profound self-discovery. It allowed me to better understand who I am, what I want, and what truly motivates me.
The PhD gave me a clear vision of what research truly is: its challenges, its demands, but also its beauty and transformative potential. It confirmed the image I had of it before embarking on this path, affirming that this route was not only the one I had chosen but also the one that deeply resonated with me. This conviction has only strengthened over time, and four years after my defense, it remains as strong as ever.
Today, while continuing to work for the consultancy firm that trusted me at the time, I remain actively involved in research. As an associate researcher at the laboratory that hosted my PhD, I passionately pursue my scientific work, publishing two to three articles per year. This continuity reflects an essential truth: research is far more than just a stage in my career; it is a driving force, a vocation, an inseparable part of who I am.
In the end, the PhD has not only provided me with skills and professional opportunities. It has given me a compass, a guiding thread that shapes my choices and nurtures my enthusiasm for the scientific world more and more each day.
To Carole, with my eternal gratitude.