Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview.
En quoi ton cursus étudiant t'a conduit à faire une thèse ?
Après les concours de classes prépa, j'ai eu la chance de passer 4 années à me spécialiser en ingénierie mécanique à l'ENS Paris-Saclay (anciennement ENS Cachan). J'ai suivi une formation "classique" normalienne, avec le passage du concours de l'agrégation, et des cours et stages pensés et orientés vers des problématiques de recherche académique et industrielle. Être immergé pendant mes études dans cet environnement m'a naturellement incité à entreprendre une thèse (en effet, une très grande majorité de normaliens décident de faire une thèse à l’issue de leur scolarité). Ma thèse s’est déroulée entre septembre 2020 et août 2023. J’ai d’ailleurs été encadré par un de mes enseignants de l'ENS.
Peux-tu vulgariser ton sujet de thèse en quelques mots ?
Ma thèse se déroulait en collaboration entre le laboratoire d’Etudes en Mécanique Sismique du CEA Saclay (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives) et le Laboratoire de Mécanique Paris-Saclay (ex LMT Cachan). L'objectif était d'améliorer le contrôle de tables vibrantes qui permettent la réalisation d'essais sismiques sur des maquettes à échelle réduite d'ouvrages ou de bâtiments. Dans certains cas pathologiques, notamment pour des maquettes de masse et de volume conséquentes, le pilotage de la table devient très sensible à l’état structurel des maquettes : un endommagement sévère ponctuel peut rendre un essai sismique instable, ce qui menace l’intégrité de l’installation expérimentale et la réussite de la campagne. Pour contrer ces phénomènes, j'ai dû mettre en œuvre un suivi en temps réel de l’état de la maquette pour adapter à la volée les lois de pilotage de la table vibrante. Le sujet est donc fortement pluridisciplinaire : simulation mécanique, problèmes inverses, assimilation de données, contrôle de systèmes dynamiques, le tout avec la contrainte de manipuler des données expérimentales réelles. Les enjeux à la fois de sécurité de l'installation expérimentale et de performance-même des essais ont été stimulants, d'autant plus que les méthodes que j'ai utilisées n'avaient alors qu'été très peu appliquée à des problèmes concrets.
Quelles sont pour toi les qualités nécessaires pour réussir en thèse ?
Je commencerai déjà par dire que les critères de réussite qu'on porte à une thèse ne doivent pas être universalisés. Cela reste une expérience professionnelle relativement individuelle, dans le sens où le/la doctorant(e) est le moteur principal du projet. La réussite est aussi conditionnée par la manière dont la thèse est réinvestie par la suite (poursuite dans le monde académique, ou prérequis pour une carrière souhaitée qui n'a peu ou pas à voir avec le sujet).
En revanche, certaines qualités me semblent impératives pour toute personne désireuse de faire une thèse : évidemment, si la curiosité scientifique et la prise d'initiative se développent naturellement par l'appropriation du sujet, avoir du tempérament pour défendre ses idées, savoir faire preuve d'abnégation et croire en soi permettront sans aucun doute de mieux vivre et mieux "réussir" une thèse.
Qu'est-ce que tu retires de ton expérience de thèse ?
Si j'ai réussi à faire en sorte que ma thèse soit une réussite sur le plan scientifique (plusieurs articles publiés dans des journaux internationaux, participation et présentation lors de conférences nationales et internationales), la thèse a avant tout été une formidable aventure humaine, où j'ai eu l'occasion de côtoyer des enseignants chercheurs, des ingénieurs chercheurs, des techniciens de laboratoires, des enseignants dans le supérieur. J'ai pu à la fois pleinement m'impliquer dans la vie d'un laboratoire académique, et m'immerger dans celle d'un laboratoire de recherche industrielle aux enjeux plus concrets. Via une mission complémentaire d'enseignement, j'ai aussi pu mettre en application mon agrégation et avoir un aperçu de la vie d'un enseignant en mécanique dans le supérieur. Toutes ces expériences m'ont beaucoup appris, et se sont révélées être un formidable outil d'aide à la décision pour mon futur professionnel.
Enfin, je retiens aussi l'apprentissage de la confrontation à l'échec et son acceptation. Savoir se remettre en question régulièrement sans perdre la confiance est nécessaire pour progresser et avancer dans l'inconnu, suffisamment loin pour se rendre compte si une idée est bonne, mais pas de trop au risque de faire fausse route.
Quel est ton projet professionnel depuis la fin de ta thèse ?
Depuis septembre 2023, j'occupe un poste d'ingénieur chercheur spécialisé en dynamique des structures à EDF R&D. Le fruit n'est donc pas tombé très loin de l'arbre... Je réalise à la fois des simulations numériques avancées et des essais mécaniques, en laboratoire et en centrale nucléaire.
En quoi te sert ta thèse concrètement aujourd'hui ?
Si la thèse est obligatoire pour candidater sur ce genre de poste, elle forme surtout à la capacité d'apprendre à appréhender et résoudre des problèmes complexes avec des approches innovantes en allant chercher l'information clé dans des contenus à la pointe dans leur domaine respectif. J'aime à dire que la thèse nous apprend à apprendre, en quelque sorte.
Pour le transposer à mon contexte professionnel actuel, je suis amené à collaborer ou intervenir sur plusieurs projets en parallèle, sur des délais parfois courts avec des enjeux possiblement critiques, projets dans lesquels je ne maîtrise pas toujours parfaitement le contexte ou la démarche ingénieure mise en œuvre. Au-delà de mes compétences techniques, mon expérience de thèse me permet de m'approprier les sujets plus rapidement et d'identifier efficacement les leviers d'actions sur lesquels je peux agir. En parallèle, je continue à mener des actions de recherche sur des échéances long-terme, pour anticiper et répondre à des besoins d'EDF dans le futur.
A titre anecdotique, c'est au travers des diverses participations à des colloques scientifiques que j'ai rencontré certains de mes futurs collègues à EDF. Un d'entre eux était d'ailleurs dans mon jury de thèse !
Après plus d'un an et demi à EDF, je continue d'apprendre tous les jours, techniquement et humainement. C'est là pour moi la vraie richesse de mon métier et ce pourquoi j'y suis épanoui.