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Ingénierie de robots, ingénierie de soi : le double voyage d’une chercheuse


amandine MAYINA
Amandine MAYINA

Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview.


Pouvez vous présenter votre parcours et pourquoi avez-vous décidé de faire une thèse ?

Si je pouvais dire à mon moi du lycée que je suis aujourd'hui ingénieure de recherche en interaction humain-machine dans le domaine aérospatial, elle n’en croirait pas ses oreilles. À l'époque, je ne savais pas quel chemin prendre, je n'avais aucune idée de ce que je voulais étudier, de ce que je voulais devenir. Mais pas à pas, j'ai tracé ma voie, soutenu par des mentors qui m'ont indiqué des directions possibles.

Mon parcours a commencé par l'école d'ingénieur, une orientation qui m'a été donnée par mon professeur de mathématiques. Il ne m'était jamais venu à l'esprit que cela pouvait être quelque chose pour moi. Le chemin a été sinueux, mais j'ai fièrement obtenu mon diplôme de l’INSA Toulouse en 2017, première ingénieure de la famille !

Quand je cherchais mon stage de fin d’études, j’ai découvert en parcourant les pages du site web du LAAS-CNRS un domaine de recherche qui m’était inconnu mais dont le nom m’a tout de suite parlé : l'interaction humain-robot. Ce fut une révélation pour moi, une discipline mêlant l'ingénierie aux sciences sociales ! J’avais toujours trouvé dommage qu’en choisissant un parcours dit scientifique, cela voulait dire laisser de côté certaines matières comme la philosophie. J’ai donc envoyé un mail au directeur de l’équipe, Rachid Alami, qui m’a ensuite accepté en stage. A la fin du stage, l’équipe m’a offert une opportunité : continuer avec eux en thèse. L’idée ne m’avait jamais traversé l’esprit. Ma préconception était que, pour faire partie du monde de la recherche, il fallait posséder une intelligence exceptionnelle. En discutant avec certains doctorants de l’équipe, je me suis rendu compte que ça n’était pas le cas et qu’un des éléments les plus importants était d’être prête à passer plusieurs années à réfléchir à un sujet donné. Ça m’allait.

Après 4 ans de travail acharné, de luttes, d’échecs et de succès, j'ai fièrement obtenu mon diplôme en 2021, devenant ainsi la première docteure de la famille !


Comment avez-vous vécu votre doctorat ?

Sans surprise, il y a eu des hauts et des bas.

J’ai beaucoup aimé le travail d’équipe, les moments de brainstormings et de discussions, pour réfléchir aux théories que nous voulions développer et pour la conception de notre architecture robotique. Nous avons également passé beaucoup de temps à deux ou à trois à debugger notre code sur le robot, des moments pendant lesquels nous voulions souvent nous arracher les cheveux quand rien ne marchait mais aussi des moments de rire, de partage et de célébration.

Cependant, le travail était aussi parfois solitaire, en particulier quand je devais travailler sur la partie conceptuelle de mon composant logiciel de l’architecture robotique. J’avais souvent l’impression d’être nulle, de ne pas avoir d’idée, de ne pas savoir quoi faire. J’avais un rendez-vous hebdomadaire avec mon directeur de thèse mais ça me laissait souvent avec plus de questions que de réponses.

L’environnement du LAAS était très agréable, on jouait aux cartes pendant les pauses du midi, et des évènements conviviaux étaient organisés plusieurs fois dans l’année.


A-t-il été compliqué de concilier vie de recherche et vie personnelle ?

De part mon manque d’ambition et de confiance en moi et de part le petit nombre de postes de recherche qui s’ouvrent chaque année, dès le début de ma thèse j’avais fait une croix sur poursuivre une carrière dans la recherche publique. De plus, mes directeurs de thèse ne m’ont jamais imposé des objectifs irréalistes. Donc, je faisais mon bout de chemin, à mon rythme, en travaillant le nombre d’heures marqué sur mon contrat : 38.5 heures par semaine. Sur mes 4 ans de thèse, le seul moment où j’ai sacrifié ma vie personnelle, travaillant tard les soirs et le week-end, est les 3 mois avant le rendu de mon manuscrit.


Qu’est-ce que la thèse vous a apporté ?

  • J’ai pu rencontrer, travaillé, discuté avec plein de gens intéressants de domaines et de parcours différents

  • J’ai découvert le monde de la recherche, j’ai découvert que j’aimais créer de nouvelles choses, j’aime la liberté intellectuelle qui nous ai laissé

  • J’ai affuté ma manière de penser, j’ai appris à suivre une méthodologie et à être rigoureuse (et ça je m’en suis rendu compte dans mon travail actuel)

  • J’ai pu voyager en Italie et en Espagne pour des conférences, en Ecosse et en Finlande pour mon projet européen et aller au MIT une semaine pour une école d’été

  • J’ai découvert le monde de la dissémination scientifique via des initiatives organisées par l’école doctorale. Comme j’ai beaucoup aimé, j’ai ensuite été pro-active et participé à beaucoup d’évènements avec d’autres structures.


Comment avez-vous trouvé votre poste d’après-thèse ?

Ce fut un parcours assez long, 5 mois. Je voulais trouver un poste qui restait dans le domaine de l’interaction humain-robot. Même si le domaine de la robotique est en pleine expansion, ce genre de poste n’est pas forcément mis en avant. J’ai donc ouvert mon cercle de recherche à l’Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Au total, j’ai fait 39 candidatures, en comptant quelques candidatures spontanées. Seulement deux candidatures se sont transformées en offre.

Pour une partie des candidatures, principalement en France, j’ai arrêté le processus de recrutement dès le début car ce qu’ils avaient à me proposer ne m’intéressait pas, souvent des entreprises de conseil qui m’avaient contacté via l’APEC. Les quelques fois où le projet était un peu intéressant, le salaire proposé était bien en-dessous de mes attentes. Un des points positifs par rapport à ces candidatures qui n’ont mené à rien est que j’ai pu m’entrainer à passer des entretiens et qu’à la fin c’était devenu une chose banale pour laquelle je ne stressais plus.

Enfin, pour l’autre partie des candidatures, principalement à l’étranger, ma candidature a été rejetée. Soit, je n’ai pas eu de réponse, soit ils ont souligné un manque d’expérience.

 Parmi les deux candidatures finales, une était à Toulouse, l’autre était en Irlande. Même si j’aurais beaucoup aimé rester à Toulouse, j’ai fini par refusé car le salaire était presque le même que celui qu’ils proposaient en sortie d’école d’ingénieur. Je n’ai pas réussi à leur faire reconnaitre 4 ans d’expérience plutôt que 2. De plus, c’était dans une entreprise de conseil sans garantie de pouvoir continuer dans la recherche une fois le contrat de « jeune docteur » terminé.

Finalement, l’interaction humain-robot m’a conduit à l’interaction humain-machine dans le domaine aérospatial, dans un des centres de recherche de Collins Aerospace, en Irlande. Après avoir passé 10 ans à Toulouse et répété aux gens que je rencontrais que non, je n’avais pas étudié ni travaillé dans l’aéronautique, quelle ironie d’aller en Irlande pour en faire ! J’ai d’ailleurs été recrutée par démarchage sur LinkedIn, je n’aurais jamais postulé moi-même. Ils m’ont proposé un salaire plus élevé que ce que je m’étais permise d’imaginer et un poste de senior : mon expérience était reconnue.


Quel est votre poste actuel ?

Le nom de mon poste est « Humans and Autonomy Research Engineer ». Avec mon équipe, nous explorons les nouvelles technologies susceptibles d'être intégrées dans les cockpits d'avion afin de concevoir des assistants intelligents pour les pilotes de ligne. L'un des objectifs principaux de ces assistants est de diminuer la charge de travail des pilotes. Dans ce contexte, je dirige les développements techniques d’un prototype d’assistant, dans le cadre du projet européen JARVIS. J’ai été très impliquée dans toutes les étapes : des idées du concept à développer aux premières versions de prototype, en passant par la conception de l’architecture du système. Nous sommes actuellement 5 collaborateurs techniques dans cette équipe de projet que je coordonne. Nous nous entendons bien et travaillons bien ensemble, ce qui rend les journées agréables.

Au quotidien, je ne me sers pas forcément des connaissances acquises pendant ma thèse spécifiquement liées à l’interaction humain-robot. En revanche, la manière de penser que j’ai développé, la méthodologie, la rigueur, me servent tous les jours. Le fait de développer un prototype dans une petite équipe m’a amené à toucher à plein de choses différentes que je n’avais jamais (ou peu) faites avant comme du développement web ou de l’ingénierie des systèmes.

Tout en continuant à développer mes compétences techniques, j’ai également développé mes

« soft skills », notamment la confiance en moi. Pendant des années, j’avais eu l’habitude d’être habitée par le syndrome de l’imposteur. Mon parcours et mes supers collègues m’ont aidé à ouvrir les yeux sur ce que j’ai accompli jusqu’à présent et à réaliser que ce n’est que le début.

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