Merci beaucoup d'avoir accepté l'entretien
Pourriez-vous présenter votre parcours ?
En fait, je n'ai jamais pensé que j'étudierais ou vivrais en France, mais la vie est tout sauf nos plans. J'ai fait mes études de premier cycle en génie électrique avec une spécialisation en traitement des signaux à l'Université de Novi Sad, en Serbie, ce qui m'a donné des bases solides pour tout ce que j'ai fait après. Je me suis alors principalement intéressé à l'analyse des signaux biomédicaux et à la manière dont l'apprentissage automatique peut être appliqué dans le domaine de la santé. Grâce à un stage d'été à l'institut Donders pour le cerveau, la cognition et le comportement aux Pays-Bas, j’ai développé un intérêt pour les neurosciences computationnelles. L'idée que nous puissions comprendre comment les neurones communiquent m’a semblé absolument fascinante. Lorsque j'ai vu une annonce pour un doctorat en codage neuronal à Paris, il ne faisait aucun doute que je devais postuler, même si je ne parlais pas français à l'époque. J'ai été acceptée et ai donc commencé une thèse à l'Institut de la vision à Paris (Sorbonne Université).
Lors de mon doctorat, j'ai utilisé la modélisation bayésienne pour tenter de savoir comment les neurones rétiniens répondent à des stimuli surprenants. Par exemple, si un stimulus visuel a une structure périodique qui change soudainement, il peut être considéré comme « surprenant ». J’ai soutenu ma thèse avec succès en janvier de cette année, et j'ai donc obtenu un doctorat en cerveau, cognition et comportement (École doctorale 3C). En ce moment, je travaille en tant que data scientist dans une start-up medtech appelée Apneal. En un sens, j'ai fait le voyage du rôle d’ingénieur à chercheur et vice-versa, apprenant beaucoup en chemin.
Comment être passée à votre poste actuel en start-up ?
Vers la fin de mon doctorat, je me suis accordé un peu de temps pour réfléchir à mes aspirations pour la suite. Même si j'aimais toujours faire de la science fondamentale, je voulais voir un impact plus immédiat de mon travail. Un des moments cruciaux dans ma réflexion a été la prise de conscience que de la recherche de haute qualité peut également être menée dans certaines branches de l'industrie. J'ai découvert mon entreprise actuelle grâce au site PhDTalent, qui publie principalement des offres d'emploi pour les doctorants. Comme Apneal développe une application pour smartphone permettant de dépister l'apnée du sommeil, elle me permet de travailler à la résolution de problèmes de santé difficiles qui nous empêchent de dormir (littéralement).
Mon travail chez Apneal correspond exactement à ce que j'espérais : je conçois des algorithmes pour traiter différents types de signaux biomédicaux afin de trouver leur relation avec les perturbations respiratoires telles que l'apnée du sommeil. Par conséquent, l'impact du travail de notre équipe sera tangible et aura un effet bénéfique sur la vie quotidienne de nombreuses personnes, ce qui est ce qui compte le plus pour moi.
Les femmes sont sous représentées dans le domaine du STEM (Science-Technology-Engineering-Mathematics), comment s'est déroulé votre doctorat ? Et dans le milieu professionnel ?
En fait, en neuroscience computationnelle, il n'y a que 25 % des femmes selon le site biaswatchneuro.com. Cependant, j'ai eu la chance d'être dans un laboratoire extrêmement favorable, et aussi dans mon milieu professionnel : il est précieux d'avoir une équipe équilibrée où l'opinion de chacun est appréciée. En général, il peut parfois être difficile de faire entendre sa voix, mais la responsabilité en incombe à la fois à l'environnement et à nous-mêmes.
Ce que nous, les femmes, pouvons faire de notre côté, c'est choisir avec soin notre lieu de travail : être attentive aux signaux d'alarme et ne pas accepter moins que ce qu'il faut. Il est primordial de ne pas laisser le manque de confiance en soi vous empêcher d'atteindre vos objectifs. Prendre conscience des comportements sexistes et en discuter ouvertement avec ceux qui les encouragent est une étape désagréable, mais nécessaire pour faire de la science et de l'industrie un lieu plus accueillant pour les femmes. De même, il ne faut pas oublier de rendre à César ce qui est à César, en faisant connaître les lieux où l'atmosphère est louable et les bonnes pratiques. Travailler dans une équipe équilibrée est bénéfique pour tous.
Qu’est-ce que votre thèse vous a apporté dans l’industrie ?
Tout d'abord, un doctorat vous donne une bonne base pour tout type de recherche scientifique : être capable de hiérarchiser les objectifs, de discuter des idées, d'avoir une vue d'ensemble. Il vous donne un moyen de mettre notre curiosité en pratique. Bien qu'elles soient souvent négligées, de nombreuses compétences transférables, comme la gestion du temps et la communication efficace, sont immensément utiles en entreprise. Si vous êtes un ingénieur passionné par un sujet scientifique et que vous souhaitez vraiment le creuser, je vous recommande vivement de faire un doctorat. Cependant, préparez-vous au fait que cela peut être extrêmement difficile et épuisant, tant physiquement que mentalement. Enfin, le sentiment d'être capable de surmonter n'importe quel défi, sentiment que l’on développe au cours d’une thèse, est également très important pour la vie professionnelle ultérieure.
Merci pour cet entretien !