Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview
Pourriez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a motivé à faire une thèse ?
En 2016, après un passage en prépa maths-physique et une licence en mathématiques, j’ai obtenu un master en mathématiques probabilistes et déterministes avec une spécialisation pour les mathématiques appliquées à la biologie et à la médecine. Mon stage dans un laboratoire Inria basé à Lyon et spécialisé dans la modélisation multiéchelles des dynamiques cellulaires (dracula) m’a permis de découvrir plus amplement le monde de la recherche en mathématiques appliquées et les neurosciences.
A la fin de mon master, j’ai vu la thèse comme une opportunité de continuer à me former sur des sujets que je trouve passionnants tout en augmentant la connaissance globale sur une problématique et en étant rémunérée (personne ne souhaite dépendre des autres toute sa vie). C’est une chance unique de pouvoir rencontrer et échanger avec des experts plutôt que d’accéder uniquement à leurs écrits en ligne.
J’ai donc ensuite fait une thèse en partenariat entre le laboratoire de mathématiques et le CHU de Poitiers. Je souhaitais continuer de travailler dans un environnement entre les systèmes mathématiques et la clinique mais également échanger avec l’Italie ce que cette offre de thèse permettait. Durant cette thèse, j’ai également enseigné à l’Université de Poitiers et soutenu plusieurs actions de popularisation.
En 2019 et la thèse en poche, j’obtiens une triple qualification CNU mathématiques pures - mathématiques appliquées -neuroscience et continue comme ingénieur de recherche sur une plateforme IRM du CHU de Poitiers. Fin 2020, je reviens sur Lyon comme biomodélisatrice rejoignant l’entreprise Novadiscovery [Link toward the Fiche Company]. En 2021 j’évolue au sein de la même entreprise et prends le lead de la dissémination scientifique.
Quel poste occupez-vous actuellement ? Que vous apporte votre thèse au quotidien ?
Actuellement je suis à la fois biomodélisatrice et leader en dissémination scientifique.
A l’interface entre les mathématiques et la biologie, le rôle de biomodeler consiste, en équipe, à répondre à des questions scientifiques d’intérêt pour l’industrie pharmaceutique afin d’optimiser numériquement le design d’essais cliniques (en particulier de phase 2 et 3). Une fois ces questions définies, le processus de développement est classique en recherche fondamentale. Nous commençons par une large phase d’exploration de la littérature. Les connaissances biologiques extraites, couplées avec des degrés de crédibilité, permettent de construire un modèle mécanistique. Cette représentation mathématique est ensuite calibrée et validée pour assurer la pertinence des résultats issus des simulations du modèle. In fine, il est possible de générer des populations virtuelles en utilisant les sorties du modèle pour différentes valeurs de paramètres (vus comme descripteurs patients). Ces essais cliniques in silico permettent de répondre aux questions d’intérêt, potentiellement via des analyses statistiques. L’ensemble des étapes est accessible sur la plateforme que nous développons, Jinko, n’hésitez pas à venir essayer la démo.
Dans cette partie de mon métier, ma thèse effectuée en partie dans un CHU, et sous la codirection d’un PU-PH chef du service d’imagerie, m’apporte une connaissance des pratiques cliniques. De plus, j’en suis sortie forte d’une capacité de mener une veille scientifique et technologique, une expertise scientifique et technique, un esprit critique couplé avec capacité d’analyse et de synthèse, une force de proposition, une adaptabilité et souplesse qui me permettent de naviguer entre divers concepts biologiques et cliniques. La diversité des outils utilisés durant ma thèse me permet à la fois d’avoir une vision plus globale des possibilités pour gérer une problématique mais également d’être plus à l’aise sur d’autres nouvelles plateformes. In fine, les exercices d’écriture et de partage reliés à la thèse (manuscrit, articles, posters, présentations, efforts de popularisation mais aussi d’enseignement) m’ont permis d'acquérir une aptitude pour échanger mes idées avec mes collègues, d’analyser et d’argumenter mais également rédiger et relire les rapports pour le client.
Mais vous êtes également leader, qu’est ce que cela change ? Qu’est ce qu’avoir fait une thèse vous apporte pour ce rôle ?
Le rôle de leader biomodeler, tel qu’entendu à Novadiscovery, est un rôle intermédiaire entre les biomodelers et le middle management. Ce rôle a une double fonction. D’une part, chacun des leaders porte une ou deux initiatives parmi la responsabilité de la conduite d’un ou plusieurs projets client, du management des personnes, ou d’un sujet de fond et de développement prioritaire. Pour ma part, je suis concernée par la dernière typologie d’initiative, en charge de stimuler, centraliser, coordonner et aider à manager toutes les actions pour communiquer les résultats et méthodes scientifiques que cela soit en interne (au sein de Novadiscovery) ou en externe (e.g. via les articles, conférences, symposiums). Mes trois ans de thèse m’ont apporté une familiarisation avec le monde scientifique, ses processus et ses besoins. J’ai, en particulier pu être membre d’un comité éditorial, organiser des conférences et coorganiser des évènements de popularisation incluant plus de 700 participants. Toute cette sensibilité, couplée à des capacités organisationnelles nécessaires à la bonne conduite d’une thèse, m’aident au quotidien pour tenir ce rôle. Ma thèse m’a également permis de développer une maîtrise de la gestion d’un projet en parallèle de la gestion de responsabilités multiples qui sont des forces dans mon rôle de leader. D’autre part, nous avons tous un rôle «d’Intermédiaire de management» : nous devons à la fois transmettre, communiquer et expliquer largement les besoins de l’entreprise et le rationnel des différents types de décision mais également stimuler et supporter les initiatives individuelles en restant à l’écoute des besoins. Nous avons pour rôle de faciliter les actions et la communication sur des thématiques variées comme l’exposition, le bien-être des employés ou l’apprentissage continu. Mes années d’enseignement et popularisation lorsque j’étais en thèse ainsi que les formations en pédagogie, enseignement et management m’ont assurément donné des atouts pour motiver des actions mais également comprendre et transmettre des besoins plus généraux.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent se lancer dans une thèse en mathématiques? Et aux étudiantes ?
La rigueur et la créativité, sont, pour moi, les piliers d’une recherche fructueuse en mathématiques, que cela soit en thèse ou après. De surcroît, mener à bien une thèse nécessite à mon sens,
- d’avoir de la volonté, l’envie de faire, d'accomplir. L’investissement nécessaire pour faire une thèse n’est pas à sous-estimer.
- d’oser. Il n’y aura pas souvent quelqu’un pour vous tenir la main et vous dire quoi faire. Il faut alors se tenir la main et de se jeter à l’eau
- de persévérer. Motivation, détermination, persévérance, courage et passion sont les clés pour mener un projet à bien sur le temps long.
- de parler anglais. Pour ne pas se limiter au savoir partagé dans une zone géographique, il est nécessaire d’avoir un niveau acceptable en anglais comme langue universelle. La grande majorité des articles scientifiques ne sont effectivement partagés que dans cette langue.
- de ne pas être fermé au reste. D’une part parce que respirer et prendre du recul est nécessaire pour sa propre santé mentale mais également parce que c’est souvent en découvrant d’autres choses, d’autres méthodes, d’autres points de vue, que l’on peut revisiter un problème qui nous résistait depuis longtemps et trouver une solution.
Pour moi, avoir fait une thèse n’est pas suffisant pour apporter une plus value dans le privé. C’est apprendre à valoriser et capitaliser sur les expériences de thèse qui m’a permis de mettre en avant des compétences telles que la collaboration, le project management, l’engagement, le focus client, l’intégrité, la gestion des risques qui dépassent le domaine d’expertise de ma thèse. Des outils comme Docpro permettent de valoriser les expériences en thèses.
Et aux étudiantes ? Dans les milieux fortement masculins, en thèse comme ailleurs, on ne pourra jamais supprimer toutes les remarques sexistes. Malheureusement nous y sommes préparées ; et quoi de mieux que d’y répondre avec un grand sourire et un trait d’esprit bien placé ? Je pense également qu’intervenir dans des actions pour promouvoir la place des femmes en sciences (e.g. Sciences en mouvement d’elles, Femmes & Mathématiques) permet d’améliorer la situation.
Une phrase qui m’avait marquée “Deviens le docteur que tes parents souhaitaient que tu épouses”