Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview.
Pourriez-vous nous présenter votre parcours et ce qui vous a motivé à faire une thèse ?
J’ai fait des études d’ingénieur en génie des matériaux à l’Institut Technologique de Querétaro, où j’ai acquis une compréhension approfondie des principes fondamentaux régissant le comportement, la transformation et les synergies possibles entre différents types de matériaux. Pendant ma formation, j’ai eu l’opportunité de rencontrer des scientifiques passionnés et spécialisés dans des domaines spécifiques (polymères, céramiques, métaux, alliages et semi-conducteurs). Leur enthousiasme m’a inspiré, et j’ai rapidement compris qu’il fallait du temps et de la spécialisation pour exceller dans ce domaine. Dès lors, poursuivre un master et un doctorat me semblait une évidence.
Il faut savoir que pour faire carrière dans les matériaux, il existe différentes approches, telles que les sciences fondamentales, les procédés industriels et le développement de nouvelles technologies. Pour ma part, j’ai choisi la voie du développement de nouvelles technologies. Pour manipuler et proposer des solutions innovantes, il est nécessaire d’étudier le comportement de chaque matériau en fonction du contexte et des avancées dans le domaine. C’est la voie que j’ai choisie et dans laquelle je me suis spécialisé, notamment dans le développement de projets.
J’ai eu une première expérience de thèse de master à l’Université de l’État de Mexico (UAEMex) où j’ai approfondi mes connaissances sur les principes de base des matériaux et les techniques de caractérisation associées. Je me suis principalement spécialisé dans le domaine des polymères synthétiques et naturels, en travaillant sur le développement d’un système de filtration d’eau à partir d’un composite hybride. L’objectif était d’optimiser les propriétés physico-chimiques d’un filtre à base de polyuréthane et de kératine pour éliminer les métaux lourds de l’eau, tels que le Cr(VI) et le Pb.
La science étant universelle, j’ai décidé de poursuivre un doctorat à l’étranger, grâce à une bourse de mon pays. Faire une thèse à l’étranger représentait une opportunité tant professionnelle que personnelle. L’immersion dans une nouvelle culture et la maîtrise d’une nouvelle langue, tout en développant mon avenir professionnel dans un univers scientifique multiculturel, était une expérience enrichissante.
Après ma thèse, j’ai poursuivi un postdoctorat au LAAS dans la conception de détecteurs de gaz. A la fin de mon contrat j’ai lancé mon propre projet entrepreneurial dans le domaine de la cosmétique naturel avec la marque Axolotl Beauty.
De quoi s’agit votre thèse et pourquoi avez-vous fait ce choix ?
J’ai eu des échanges avec différents laboratoires au Canada et en France, et j’ai finalement choisi l’Université de Toulouse et les laboratoires LCC et LAAS pour travailler sur l’intégration de matériaux à transition de spin dans des dispositifs MEMS (systèmes microélectromécaniques). Le contexte global était complètement nouveau pour moi, mais j’aime les défis. Le monde des semi-conducteurs, qui m’avait toujours intrigué, m’offrait une opportunité de découvrir la microtechnologie. C’était également la première fois que je travaillais avec des matériaux à transition de spin, et le projet semblait fascinant.
Les matériaux à transition de spin changent de propriétés physico-chimiques en réponse à un stimulus externe tel que la lumière, la pression ou la température. Les dispositifs MEMS sont des structures mécaniques à l’échelle micrométrique qui peuvent se déformer en réponse à un stimulus externe ou à une masse ajoutée, modifiant leur amplitude et leur fréquence de résonance. Mon projet de thèse avait trois objectifs: trouver un procédé de fabrication compatible pour intégrer les matériaux à transition de spin dans les MEMS, caractériser leurs propriétés mécaniques et actionner le dispositif électromécanique grâce au changement de volume et aux contraintes déclenchées par un stimulus intermittent sur le matériau à transition de spin.
Le succès du projet a reposé sur la cohésion d’un ensemble d’éléments humains et techniques dont j’étais responsable. J’ai été formé et soutenu par une équipe d’ingénieurs spécialisés à chaque étape du processus, notamment Laurent Mazenq en microfabrication, Fabrice Mathieu en transduction, Sylvain Rat en synthèse des matériaux SCO, ainsi que par mes mentors Liviu Nicu au LAAS et Gabor Molnar au LCC. À la suite de ma thèse, nous avons publié 9 articles scientifiques et une communication de conférence, dont 6 en tant que première auteure.
Vous avez décidé de faire une bifurcation vers l’entrepreneuriat. Pourquoi et en quoi votre doctorat vous est utile ?
J’ai toujours eu un esprit entrepreneurial et créatif, mais je n’avais jamais envisagé de lancer un projet en solo et de prendre toutes les décisions importantes qui en découlent. Ma vision professionnelle se focalisait sur la recherche et le développement de projets de haute technologie, en étant une interface entre différents spécialistes pour atteindre un objectif. Je n’avais jamais envisagé de le faire en dehors d’un contexte conventionnel de recherche publique ou privée.
Cependant, ma vie et mes intérêts personnels m’ont conduit à créer mon entreprise de conception et fabrication de produits cosmétiques véganes au tépezcohuite. Parmi les facteurs déterminants de ce choix professionnel figuraient la naissance de ma fille, le besoin de stabilisation et d’équilibre entre ma vie professionnelle et personnelle, mes préoccupations concernant les formulations cosmétiques existantes sur le marché et l’envie de créer des produits depuis la conception jusqu’au produit fini.
Pour ce faire, j’ai dû recommencer presque à zéro et je continue à travailler en permanence. En plus de la gestion technique, j’ai dû gérer administrativement ce projet, ainsi que la communication et la vente. Pour l’instant, je fais tout en solo, bien que je bénéficie de l’accompagnement d’organismes de formation, d’experts en réglementation, de communication ou de sociétés spécialisées dans certains types de caractérisation de produits, un peu comme je le faisais pendant ma thèse avec différents spécialistes.
Ce qui m’a donné confiance, ce sont précisément les compétences techniques et transversales que j’ai développées pendant ma thèse. Savoir mener un projet à bien en se donnant les moyens d’atteindre ses objectifs. Prendre la responsabilité en solo, mais savoir s’entourer quand c’est nécessaire. Ne jamais perdre de vue l’intégralité d’un projet et l’importance de ses différentes parties. Apprendre de nouvelles techniques, effectuer une veille concurrentielle et bibliographique, élaborer un plan d’actions et de distribution, tester mes formulations, aménager mon laboratoire pilote, communiquer de manière pertinente et conforme à la réglementation, et continuer à apprendre en permanence, tout en intégrant mes propres valeurs et vision dans chaque détail.
Aujourd’hui j’ai une gamme des produits à base d’ingrédients d’origine végan et naturelle pour les différents types de peaux. La marque Axolotl Beauty est labellisé Slow Cosmétique, et elle porte la signature Fabriqué en Occitanie. En 2023 elle a gagné le prix de la TPE 2023 de la Haute Garonne. Chaque produit contient du tépezcohuite (l’arbre à peau) et est inspiré du folklore et l’ethnobonatique de mon pays natal, le Mexique. Je commercialise sur mon site web et sur deux points de vente.
Quels conseils à un étudiant qui souhaite se lancer dans une thèse ?
La thèse est une belle étape de la vie professionnelle, probablement la seule où vous pourrez tester vos compétences en gestion de projet dans son intégralité. Profitez-en. Cependant la vie n’est pas une ligne droite, le marché du travail évolue et vos envies peuvent également changer. S’il n’existe pas de modèle adapté à vos besoins professionnels, il faudra le créer. L’entreprenariat est un moyen de le faire et la thèse vous donne un bon aperçu.
Dans le domaine de la recherche, il faut rester humble.
Visualisez-vous à court, moyen et long terme. Si vous avez vraiment envie de poursuivre dans la recherche, projetez-vous bien à l’avance et renseignez-vous sur ce qu’il faut faire. Réfléchissez aux réseaux, aux publications, au secteur de recherche. Identifiez les points forts du laboratoire et de l’équipe de travail dans laquelle vous souhaitez vous développer. Suivez le parcours des doctorants ou postdoctorants qui sont passés par un laboratoire ou une équipe de travail, et, si nécessaire, organisez des entretiens non seulement avec vos futurs encadrants, mais aussi avec les doctorants et professionnels qui ont passez par là.
Travaillez votre réseau, car la collaboration est une constante dans la vie et on ne réussit pas seul.